Le milieu des auteurs indépendants est riche en personnalités originales, personnages hors-norme qui construisent leur vie et leur bibliographie sans tenir compte des limitations imposées par les maisons d’édition. Matthieu Biasotto fait partie de ceux-là, artiste complet qui se partage entre l’écriture et la peinture.
J’ai fait la connaissance de Matthieu au moment de la parution de Kraft. Immédiatement, j’ai été frappé par la qualité graphique de ses couvertures et de son site, ainsi que par la relation très intime qu’il arrivait à nouer avec ses lecteurs (il dirait sans doute ses lectrices). Il n’en était alors qu’à son deuxième roman. Il devait encore parcourir un chemin qui allait le mener à la publication par un éditeur, et ce sans l’aide des médias traditionnels.
Matthieu Biasotto, créateur de couvertures
J’ai déjà évoqué ici l’importance que j’accorde aux couvertures. Comme moi, un nombre croissant d’auteurs indépendants prennent conscience de l’impact prépondérant de la couverture sur le destin de leurs livres. Il devient de plus en plus difficile, désormais, de distinguer un roman auto-publié d’un autre publié par une maison d’édition, sur base de leurs seules couvertures. Les lecteurs peuvent alors se concentrer sur l’essentiel : le contenu, l’intrigue, les personnages, le style, les sentiments.
C’est justement en admirant sur Amazon les couvertures des livres à succès du moment que j’ai découvert une vérité troublante : parmi celles-ci, une forte minorité avaient été créées par le même graphiste, un certain Matthieu Biasotto.
Matthieu s’est lancé dans la réalisation de couvertures pour les autres auteurs en 2017. Depuis, son activité a suivi la même courbe que ses propres livres. Un jour, peut-être, il deviendra impossible d’atteindre le succès sans une couverture de Matthieu ! Anticipant cette évolution, j’ai donc contacté immédiatement l’artiste pour me réserver une place dans son emploi du temps déjà très chargé.
Mon expérience de la création de couverture avec Matthieu
Contrairement à d’autres graphistes, Matthieu préfère le contact direct avec les auteurs plutôt que l’envoi d’un cahier des charges. Le processus de création a donc commencé par une rencontre vidéo. D’auteur à auteur/graphiste, nous avons longuement discuté de mon projet, de l’ambiance et du genre, des personnages, de la situation initiale. Peu à peu, Matthieu a construit une image mentale correspondant à mon roman. Ensuite, il m’a annoncé qu’il commencerait à concevoir ma couverture tout de suite après, tant les images suscitées par notre conversation étaient encore fraîches dans son esprit.
Il m’a envoyé la première version de la couverture dès le lendemain. La forêt, la victime, l’effondrement : les grands thèmes de la couverture définitive s’y trouvaient déjà. Plusieurs échanges ont été nécessaires pour faire évoluer le projet jusqu’à atteindre une version qui nous convienne à tous les deux. Très vite, les personnes à qui j’ai montré l’image ont exprimé leur approbation. Manifestement, la couverture fonctionnait. Nous avons pourtant continué à travailler les détails, au-delà de ce que la plupart des lecteurs sont susceptibles de remarquer.
Le résultat, vous pouvez le voir ci-dessous : une composition nocturne, sylvestre et inquiétante, exprimant parfaitement l’ambiance de mon roman à paraître.
Interview de Matthieu Biasotto
Bonjour Matthieu. Les lecteurs te connaissent pour tes romans, notamment PK, 11 juin, Ewa et Yell. Depuis quelques mois, tu t’es également lancé dans la création de couvertures pour les autres auteurs. Les livres qui bénéficient de tes services, comme Résilience, de Damien Leban, Les larmes d’Alyssa, d’Isabelle Rozenn-Mari ou Le fil d’argent de Rebecca Greenberg, finissent souvent dans le top-100 d’Amazon. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’offrir à tes confrères des talents qui étaient jusque-là réservés à tes propres romans ?
Bonjour Guy et merci pour cette mise en lumière. Après avoir touché au but, une fois que j’ai réussi à vivre de ma plume, j’ai eu envie d’aider les autres. J’ai eu la chance de bénéficier d’une main tendue à mes débuts, à présent, c’est à moi de le faire, histoire de boucler la boucle. « Ma vie est mon message », ce n’est pas qu’une citation utilisée dans un de mes romans, je m’efforce de faire de mon mieux à chaque fois que l’occasion se présente, tout simplement.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi : une belle couverture, une couverture qui touche les sentiments ou une couverture qui informe le lecteur ?
Le terme exact serait une couverture efficace. Bien entendu l’esthétique doit être au rendez-vous, si on peut susciter de l’émotion chez le futur lecteur c’est encore mieux, le principal objectif étant de donner envie de découvrir le texte.
En quoi la couverture contribue-t-elle au succès d’un livre ?
Il paraît qu’il ne faut pas juger un livre sur sa couverture, mais c’est pourtant le premier contact avec le lecteur. Le succès d’une couverture est en réalité un alignement de facteurs. Lorsque le livre est bon, lorsque l’auteur dispose d’un réseau ou d’une petite visibilité, lorsque le titre laisse une trace et que le texte de 4e de couverture provoque le désir d’en savoir plus… la couverture devient un levier extraordinaire pour agrandir son lectorat – à plus forte raison sur les réseaux sociaux où le bouche-à-oreille s’appuie généralement sur un post illustré par la couverture en question. On entre dans un cercle vertueux où le lecteur devient prescripteur et poste un visuel capable d’attirer de nouveaux regards et ainsi de suite. À l’inverse, une superbe couverture sur un livre qui peine à séduire le lecteur ne fera pas de miracle.
Qu’est-ce que tu penses du niveau moyen des couvertures chez les auteurs indépendants ?
Le niveau de qualité augmente de manière spectaculaire, ce qui rend le paysage de l’autoédition un peu plus pro chaque jour et c’est une très bonne chose pour les lecteurs. Je crois que tout le monde a saisi l’importance d’une couverture efficace.
Les auteurs indépendants doivent supporter seuls tous les coûts de lancement de leurs livres. Penses-tu que l’investissement dans une couverture réalisée par un pro comme toi est rentable ?
Je n’aime pas beaucoup la notion de rentabilité, on peut toujours tirer profit de nos erreurs et ça n’a pas de prix. Toutefois, cette question rejoint ma réponse un peu plus haut. Pour te répondre, investir dans une couverture est rentable lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche de qualité. La priorité c’est d’avoir un bon livre, sans cette condition, les choses s’annoncent compliquées – non pas pour réaliser la couverture, mais pour que le livre soit lu.
En clair, si l’auteur a un bon texte, un texte propre (corrigé par une professionnelle), si tous les facteurs sont alignés, il est évident qu’une bonne couverture va hisser tout le projet vers le haut. Pour que l’investissement soit rentable, il faut être lu, pour être lu, il ne faut rien négliger (la couverture n’est donc qu’une étape).
Cela dit, quelqu’un qui a du goût, un minimum de connaissances en logiciel photo, ou un ami qui dispose de ces prérequis, peut tout à fait sortir une couverture correcte sans passer par un pro. Il faudra toute de même s’acquitter des droits pour l’image (Google image n’est pas un grand supermarché où l’on peut se servir gratuitement) et demander l’avis d’un public ciblé. Mais il est possible de s’en sortir à moindres frais, je pense notamment à ceux qui se lancent et qui n’ont pas le budget.
Comment te viennent les idées pour un projet ?
Des mots. Les mots de l’auteur, j’ai besoin qu’il me parle de son texte pour en saisir l’esprit. En m’appuyant sur un échange par téléphone ou sur messenger, l’intention graphique s’affine et le concept me vient rapidement, comme un flash.
Ce qui me frappe, c’est que tes couvertures ne se ressemblent pas, même si on sent la présence discrète de ton style. Comment t’y prends-tu pour concevoir un projet dans des univers éloignés du tien ?
Encore une fois, j’écoute l’auteur. L’idée c’est de me mettre à sa place, de faire comme s’il s’agissait de mon propre livre, même si le genre s’éloigne de mon monde. Tout part d’une conversation, de quelques questions qui me permettent d’extraire les grandes lignes. Ensuite j’affine ma proposition avec l’auteur jusqu’à obtenir le résultat voulu.
En quoi le genre du livre influence ton projet ?
Certains genres sont très codifiés, mais j’ai tendance à penser que l’univers de l’auteur doit l’emporter sur tout le reste. Donc je m’efforce de faire un mix entre les contraintes de tel ou tel genre et la palette propre à l’auteur.
Quand tu écris, tu penses déjà à ta couverture ?
C’est le cas très souvent. Il m’arrive d’avoir la couverture en tête dès le début, avant même le premier chapitre. Parfois en plein milieu de mon intrigue, l’idée vient comme ça. Et puis, plus rarement, la couverture peut voir le jour en bout de course.
Pour toi, quelles sont les qualités les plus importantes d’un créateur de couvertures ?
La maîtrise technique permet de s’affranchir des limites. Quand tout est possible, tout devient plus facile. L’écoute : sans comprendre précisément le texte, on ne peut pas taper dans le mille. La créativité : parce qu’il faut savoir rebondir et explorer différentes pistes autour d’un même sujet. Et parfois la patience, dans certains cas, la solution visuelle est plus délicate à trouver. Il faut ajuster, essayer, recommencer pour le bien du projet.
Merci Matthieu, pour cette interview et pour la couverture d’Effondrements.
Merci à toi, Guy.