Au moment de la retraite, une de mes voisines s’est découvert une passion pour l’écriture poétique. Modeste, elle n’a jamais envoyé ses poèmes à une maison d’édition, mais elle les a auto-édités avec l’aide d’une association. Son bonheur est de lire son nom sur la couverture d’un livre, qu’elle peut offrir à ses amis et à ses enfants. La solution qu’elle a trouvée lui convient parfaitement, et elle refuserait à juste titre de se lancer dans un projet plus aventureux.
Si vous ne cherchez ni la reconnaissance, ni un petit revenu, vous serez peut-être tenté(e) par une formule du même genre, qui vous évitera bien des dépenses et ne dévorera pas votre temps de loisir. Désirant peu, vous en obtiendrez autant, et vous n’en ferez pas une affaire nationale.
J’aimerais pouvoir dire de même, et me contenter de faire imprimer douze exemplaires de mes romans, distribués à mon entourage et à mon ancien professeur de français. Hélas, je ne le puis, et c’est bien mon drame. Car je n’écris pas seulement pour moi-même, comme on marmonne de confuses paroles sous sa douche. Puisque j’ai renoncé à soumettre mes gribouillis à des éditeurs, je sais que je n’obtiendrai probablement pas ce que recherchent tant d’auteurs : la reconnaissance publique, une identité d’écrivain, de mortelles séances de signature dans les librairies et des invitations gratuites au salon du livre.
Restent les aimables lecteurs, et peut-être un peu d’argent.
Rien n’est plus important que de savoir pourquoi on agit. Tant que le prix à payer reste faible, on peut entrer dans l’autoédition parce qu’on a vu de la lumière, sans ambition ni prétention. Il suffit de savoir que le résultat sera probablement peu professionnel, de faible qualité matérielle et guère rémunérateur. Un de mes cousins m’envoie ainsi des nouvelles des livres qu’il publie régulièrement sur une soi-disant « plateforme d’autoédition ». Vous savez, un de ces sites qui vivent de la vente d’ouvrages aux parents et amis des auteurs. Tant que mon sympathique parent ne se fait pas d’illusions sur la valeur de cette « édition », tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et il ne me viendrait pas à l’idée de le critiquer. Il paraît qu’il existe même des clients d’éditeurs à compte d’auteur satisfaits.
L’objet de ce billet est d’examiner les options qui se présentent quand on envisage d’auto-éditer ses écrits. La liste n’est pas exhaustive, mais il y a des chances pour que vous vous reconnaissiez dans ce panorama.
Obtenir une version imprimée de son livre, pour l’offrir aux rares intéressés
Vous écrivez peut-être des livres appartenant à un genre injustement marginal, comme la poésie ou le théâtre, où les rares éditeurs sont obligés de ne pas révéler leur adresse postale pour éviter de mourir étouffés sous les millions de manuscrits, eux qui n’en publient que trois par an. Dans ce cas, je n’ai rien à vous dire, vous savez déjà que vous ne serez pas publié à compte d’éditeur. Tout ce que je vous souhaite, c’est de vous constituer un cénacle de lecteurs qui vous protège de la barbarie et de l’oubli total, puis de commander une petite série d’exemplaires imprimés de vos œuvres, que vous distribuerez à ceux qui en comprennent la valeur. Vous vous consolerez en pensant que Verlaine a commencé comme vous.
Atteindre un petit cercle d’amis, de collègues, de contacts
Votre carnet d’adresses est bien rempli ? Votre situation hiérarchique rend vos écrits intéressants pour vos subalternes ? Vos réseaux s’étendent jusqu’en Mongolie intérieure ? Vous avez écrit un ouvrage destiné à passionner les propriétaires de shih-tzus, que vous connaissez tous par leur prénom ? Dans ce cas, pourquoi ne pas tenter l’auto-édition papier sur un site d’impression à la demande, où les intéressés pourront commander votre bouquin sans intermédiaire ? Ne vous préoccupez ni des aspects techniques, ni de la distribution, à peine du marketing, pour vous contenter d’envoyer quelques milliers de courriels à vos contacts. Avec de la chance, vous obtiendrez quelques dizaines de ventes.
S’amuser à parcourir les étapes de l’autoédition par intérêt et curiosité
Heureux celui ou celle qui ne nourrit aucune illusion ni aucune attente ! Amusez-vous donc, en choisissant parmi tous les composants du métier celles qui vous passionnent. Vous aimez la typographie ? Lisez des livres, téléchargez Scribus, trouvez des grilles typographiques basées sur le nombre d’or. Vous appréciez les illustrations ? Commandez-en quelques-unes sur Fiverr. Le marketing vous attire ? Lisez les nombreux ouvrages en anglais qui vous promettent la richesse par la vente de livres sur Kindle. Vous avez un immense avantage sur des auteurs tels que moi : léger et dépourvu d’illusions, vous ne pouvez pas échouer, puisque vous ne vous imposez aucun objectif particulier.
Tenter sa chance, éventuellement gagner quelques sous
Si tel est votre désir, vous voudrez limiter au maximum les frais généraux, en utilisant des outils et services gratuits. Le bricolage, le recours aux copains et les astuces glanées sur internet seront votre lot. Vous vous contenterez d’un livre qui tient à peu près la route, et vous corrigerez les fautes d’orthographe et les coquilles plus tard. Que la chance vous sourie ou non, vous n’aurez pas perdu grand-chose. Pendant ce temps, au moins, vous n’attendrez pas stupidement les réponses négatives des éditeurs.
Entamer une carrière sérieuse d’auteur auto-édité
Votre priorité : obtenir des ouvrages de qualité professionnelle, irréprochables dans tous les domaines : contenu, couverture, mise en page, etc. Vous serez amené à prendre en main vous-même la direction des opérations, afin d’éviter qu’un prestataire ne fournisse un service de qualité inférieure. Ici, aucun raccourci n’est possible ; à défaut de devenir un expert en questions éditoriales, vous devrez sous-traiter tout ce que vous ne savez pas faire correctement : la relecture-correction, la mise en page, la conversion en fichiers numériques, les illustrations, la conception de la couverture, etc. Vous serez le chef de votre petite entreprise et vous changerez si souvent de couvre-chef que vous en perdrez vos cheveux (ceux que l’écriture vous a laissés, du moins).
Se faire remarquer par les « vrais » éditeurs et se placer dans une position plus avantageuse pour négocier avec eux
Avec cet objectif, vous chercherez surtout à ne pas vous mêler de la polémique opposant les auteurs auto-édités au monde de l’édition. Vous insisterez sur la qualité de votre manuscrit, en le faisant relire et corriger avec soin, et vous vous contenterez d’un lancement numérique. Vous tâcherez de faire parler de vous en expliquant votre démarche dans des sites spécialisés. Si vous arrivez enfin à signer un contrat avec un éditeur, faites-moi plaisir : ne dites pas du mal de ceux qui n’auront pas fait comme vous, ni de l’autoédition en général.
Devenir riche, reconnu par les médias, célébré par les critiques, étudié par les professeurs
Laissez tomber.