En littérature de jeunesse, il n’est guère de couverture sans illustration originale. L’illustration définit le genre et le lectorat, offre un support à l’imagination et permet au lecteur de se faire une idée de ce que le livre peut lui offrir. Certes, les couvertures des romans « pour ados » affichent de plus en plus souvent des photos ayant subi un lourd traitement de retouche d’image à la place des traditionnels dessins, mais cette pratique est encore confinée à quelques sous-genres définis.
Dans ma quête d’une couverture professionnelle, j’ai décidé de commencer par l’illustration, plutôt que de charger un concepteur de faire illustrer lui-même son projet. En procédant de la sorte, j’estimais conserver le contrôle de la façon dont mes idées seraient traduites en images, en amont du travail sur la couverture. Je savais que les maisons d’édition consultent très rarement les auteurs avant de faire illustrer leurs ouvrages, et je voulais à tout prix éviter que mes couvertures ne contredisent certains détails des romans qu’elles seraient amenées à représenter.
Trouver un(e) illustrateur(trice)
Comment trouver le bon illustrateur ? En France, la tâche me paraissait démesurée. Malgré toutes mes recherches, je n’avais pu trouver de plateforme présentant les offres et les réalisations d’un nombre suffisant d’illustrateurs pour faire mon choix (à l’exception de l’Annuaire des illustrateurs, que j’estimais insatisfaisant). J’étais obligé de consulter tous les studios et les freelance dont je trouvais les références, rechercher leur style et souvent les contacter pour obtenir des prix. Ces derniers, en plus, pouvaient varier du simple (100 € pour une illustration couleur) au décuple (1 000 €). En un mot, il me manquait ce qu’on appelle dans les pays anglophones une « marketplace » (place du marché – nom donné à un site présentant un éventail d’offres commerciales comparables).
C’est alors que j’ai découvert Fiverr. Fiverr, c’est une idée simple et géniale à la fois : permettre à tous les prestataires de services (plutôt numériques) de la planète d’offrir un service de base à 5 dollars l’unité, qu’ils présentent à l’aide d’un « portfolio » (mot souvent traduit par le franglais « book ») contenant parfois une vidéo d’introduction. Les prestataires sont notés par les clients, et un système élaboré met en avant ceux qui ont obtenu les meilleurs scores. Le service de base à 5 dollars se révèle généralement très sommaire ; en ce qui concerne les illustrations, un supplément conséquent est nécessaire pour obtenir la couleur, une image haute définition ou les fichiers-sources.
Grâce à Fiverr, j’ai trouvé Morgan, qui se fait appeler Darccwrath sur Fiverr et Scarlet Harlequin sur son propre site. Sa « gig » (nom donné par Fiverr aux diverses prestations) ? « I will draw custom creature designs for $5 » (Je dessinerai une créature à votre convenance pour 5 dollars). Comme les romans que je voulais faire illustrer évoquaient chacun une créature imaginaire, j’ai immédiatement contacté Darccwrath (en anglais) pour savoir si elle pouvait répondre à ma demande particulière. Elle a répondu par l’affirmative. Comme le projet sortait du cadre des gigs Fiverr, elle m’a proposé de la retrouver sur son site, et notre collaboration a commencé.
Définir un projet et un cahier des charges
Quand on travaille avec une illustratrice, on souhaite à la fois qu’elle soit fidèle à son style antérieur, mais aussi qu’elle fournisse une illustration qui ne ressemble pas de trop près à ses dessins précédents. Cette tension entre la prévisibilité et l’originalité se résout dans la définition d’un cahier des charges. Je voulais une image forte, correspondant à mes descriptions et à l’esprit de mon roman, qui demeure visible sur une réduction de l’image à la taille d’un timbre-poste (sur Amazon). Tel a donc été mon cahier des charges, que j’ai transmis simplement à Morgan (le véritable prénom de Scarlet Harlequin). Accessoirement, je désirais ajouter une illustration intérieure en noir et blanc. Morgan m’a transmis un devis correspondant à ces deux dessins et je lui ai envoyé la moitié des fonds par le biais de Paypal.
Transmettre les documents et informations nécessaires
Encore fallait-il exprimer, en anglais et dans des termes visuels, ce que je souhaitais. La créature imaginaire qui devait figurer sur la couverture (appelée l’aazreth) apparaissait dans un seul chapitre de mon roman. J’ai donc traduit ce chapitre comme je le pouvais, en me servant du service de traduction de Google et en corrigeant à la main la version générée automatiquement. J’ai également traduit un résumé du livre, la description des deux personnages qui allaient figurer dans l’illustration et quelques informations supplémentaires sur le monde que j’avais créé.
Dernière pièce du dossier : j’ai envoyé à Morgan un croquis maladroit de l’aazreth que j’avais réalisé.
Le concept
Morgan a immédiatement commencé à travailler aux croquis préalables, afin d’élaborer les éléments qui composeraient les deux illustrations. Dans chaque feuille de croquis, je désignais les éléments qui me plaisaient et les modifications que je souhaitais voir apparaître. Nous avons échangé des courriels pendant plusieurs semaines, approchant chaque fois de plus près mes propres visions.
Créer des personnages
Sans surprise, l’aazreth a été le personnage le plus facile à croquer. Au bout de trois échanges, il possédait déjà son identité propre et ses traits définitifs. Pour ce qui est du second personnage – Lucie, mon héroïne – la tâche s’est révélée plus délicate. En effet, Morgan souhaitait coller au plus près à mon imagination, mais j’étais incapable de lui transmettre ce que j’avais exactement en tête. Quelques balbutiements plus loin, j’ai compris que je devais laisser mon illustratrice inventer sa propre Lucie, qui serait forcément différente de la mienne.
Les détails
Morgan travaille dans les détails, jusqu’à dessiner des vêtements qui sortent du cadre des images demandées ou des versions très précises des plumes/écailles de ma créature. L’un de ces détails – un portrait en pied de Lucie, légèrement colorié – allait devenir plus tard une image complémentaire, dont je ne sais pas encore si le concepteur de couvertures va se servir. Cette conscience professionnelle constitue l’une des qualités les plus appréciables de Morgan, surtout aux yeux d’un auteur qui trouve dans ce travail supplémentaire une source d’inspiration inestimable.
La composition
Une fois les personnages définis, Morgan est passée à la composition : deux scènes très différentes mettant en jeu Lucie et l’aazreth, l’une céleste, l’autre souterraine, l’une destinée à un traitement totalement numérique et l’autre bénéficiant d’un tracé détaillé à l’encre. Comme Morgan possède un sens raffiné de la composition, peu d’échanges ont été nécessaires pour arriver à des versions définitives. Moment rare et précieux, je voyais enfin mes mots se transformer en images et j’en retirais une émotion nouvelle.
Mise en couleur
De la composition aux traits définitifs, mes interventions n’ont concerné que d’infimes détails : la texture d’un panier, l’épaisseur d’un nez, la longueur relative d’un membre de l’aazreth… La mise en couleur de l’illustration de couverture m’a d’abord déconcerté, car j’étais peu familier du traitement numérique des couches de couleur. Les premières versions étaient, soit trop sombres, soit peu naturelles, mais chaque nouvelle version apportait des réponses à mes préoccupations. J’ai compris que Morgan maîtrisait particulièrement cet aspect de son travail, et qu’elle savait où elle allait au-delà des instantanés qu’elle me faisait parvenir.
Ombres et textures
Les ombres et les textures ont apporté tout le naturel et le relief qui manquait encore à l’ensemble. Les couleurs sont devenues textures et la scène a gagné en réalisme.
L’arrière-plan
Au début, l’arrière-plan m’a causé quelques inquiétudes. Je souhaitais à la fois une scène de nuit et des contrastes importants, demande contradictoire qui a conduit Morgan à éclairer les personnages d’une lumière orange surnaturelle. Or, la scène était censée se dérouler à la lueur de la lune, sur fond de ciel obscur où les étoiles commençaient à apparaître. Cette contradiction a persisté quelque temps, et j’ignorais comment transmettre à Morgan des instructions cohérentes pour en sortir. J’ai fini par effectuer une recherche photographique sur les nuits éclairées par la lune, qui m’a permis de découvrir des arrières-plans présentant les qualités requises. Morgan a immédiatement intégré mes suggestions et l’image a été achevée en quelques jours.
Et tout ça pour la modique somme de…
J’avais défini un budget total de 350 dollars (280 €) pour les deux illustrations. Le devis de Morgan revenait à 320 dollars : 200 (160 €) pour l’illustration en couleur et 120 dollars (80 €) pour l’illustration en noir et blanc. J’ai fini par ajouter 30 dollars pour le portrait supplémentaire de Lucie. En tout, j’estime avoir obtenu un service de qualité pour une somme qui, à la fois, ne crevait pas ma bourse et rémunérait à peu près correctement l’artiste.
Conclusion : de la joie de voir mes idées prendre une forme visible
L’ensemble du processus, qui a duré trois mois et demi, a débouché sur des illustrations qui répondaient pleinement à mes attentes et qui reflétaient parfaitement l’ambiance et les descriptions des deux scènes correspondantes. Mais la vraie valeur de cette expérience tient dans l’échange fructueux que j’ai eu avec Morgan, un échange qui a rendu visible un monde imaginaire qui n’existait jusque-là que sous forme verbale. L’imagination de cette artiste a enrichi la mienne, et je lui suis très reconnaissant d’avoir ainsi offert une nouvelle dimension à mes écrits. Je suis d’ailleurs disposé à poursuivre cette collaboration et à lui demander de réaliser dans l’avenir les illustrations des quatre autres volumes de la série.