Si vous n’avez pas encore entendu parler de la guerre Amazon-Hachette, vous ne lisez sans doute jamais les journaux. En tout cas, pas Le Monde, qui couvre fidèlement le conflit. Olivier Frébourg, par exemple, y qualifie la société américaine de « titan fascinant qui moissonne la planète, exigeant d’Hachette et bientôt de tous les éditeurs des sacrifices inhumains ». Dans le même article, il traite Amazon de « cheval de Troie » des États-Unis. Dans un article titré « Qui pour arrêter Amazon, le voyou ? », un libraire dresse la liste des vilenies du géant américain, contredisant au passage la théorie du complot d’Olivier Frémont (« Amazon abuse les responsables politiques »). Marie Sellier, Présidente de la Société des gens de lettres, accuse quant à elle le titan de prendre les auteurs en otage, tout en reconnaissant que les auteurs en question sont systématiquement sous-payés par leurs éditeurs.
900 auteurs dénoncent Amazon aux États-Unis, plus de 1180 en Allemagne, la presse unanime montre le géant du doigt et réclame sa tête. Avec autant de grands esprits et de voix puissantes, qui peut douter que la cause est juste ? Que valent, dans cette croisade, les voix des auteurs auto-édités, comme J.A Konrath, qui opposent aux arguments-massues des anti-Amazon quelques objections dissonantes ? Je ne sais pas vous, mais je me sens toujours mal à l’aise quand une opinion prend le pouvoir, et j’aime écouter les petites idées qui ne tournent pas rond. En voici quelques-unes, glanées dans les blogs et les livres de quelques auteurs américains qui ne sont pas inféodés aux grands éditeurs.
Comment devient-on un titan ?
Si Amazon s’est taillé la part du lion dans le commerce en ligne, c’est grâce aux qualités de son offre, non en vertu de pratiques commerciales douteuses. À moins de prendre l’internaute pour un con, on ne peut affirmer que l’attrait du magasin universel résulte d’une erreur ou d’une illusion. Sa stratégie principale consiste à proposer à ses clients les articles qu’ils sont le plus susceptibles d’acheter. Ses pratiques commerciales sont, certes, plus que douteuses, mais son succès populaire ne doit pas leur être attribué.
Quant à Hachette, le groupe éditorial (propriété du marchand d’armes Lagardère) s’est plutôt spécialisé dans la concentration verticale : intégrer toute la chaîne du livre, et surtout la diffusion-distribution, afin d’obliger les libraires à lui servir de vitrines et d’exclure la concurrence des tables et des rayons. Pas vraiment ce qu’on appelle un gentil.
La pomme de discorde
Que reproche-t-on aujourd’hui à Amazon ? Principalement de rendre la vente des livres de Hachette plus difficile et de causer une perte financière importante aux éditeurs et aux auteurs. Un instant. Une perte financière ? Mais qui oblige les lecteurs à acheter sur Amazon ? Si un éditeur est en désaccord avec un distributeur, qu’est-ce qui l’empêche d’aller voir ailleurs ?
C’est là qu’intervient toute l’hypocrisie des défenseurs du groupe français. C’est que, voyez-vous, Amazon détient aux États-Unis la moitié du marché du livre. Ces ingrats de lecteurs préfèrent acheter dans la boutique de l’amazone plutôt que de soutenir la librairie indépendante de leur ville. On parle de monopole, et le groupe Hachette s’y connaît en la matière, lui qui détient 50 % de l’édition française. Du monopole à la prise d’otages, il n’y a qu’un pas (on parle aussi de sanctions, comme si Amazon était un État), et les auteurs n’hésitent pas à le franchir.
Le conflit des titans n’est pas une guerre entre deux États, mais un différend commercial
Mais qu’est-ce qui empêche Amazon, une entreprise privée, de pratiquer des mesures de rétorsion envers un fournisseur dont elle est insatisfaite ? Est-ce cruel ? Oui, bien sûr : c’est même capitaliste. Vous avez le droit de vous boucher le nez ou de détourner le regard, mais n’oubliez pas que l’histoire du groupe Hachette est parsemée de hauts faits et de bassesses similaires. Les titans ne sont les amis de personne, surtout pas des auteurs. Ils ne respectent rien – ni la culture, ni les lois, ni leurs clients. Auteurs, je vous donne un conseil, un seul : laissez-les se battre sans intervenir, sans défendre l’un ni l’autre, sans prendre aucun parti. Car une fois la fumée dissipée et le géant du commerce en ligne abattu, vous risqueriez de découvrir une fois de plus que vous êtes, une fois de plus, les dindons de la farce.